Une place au chaud

Une place au chaud . Vous aussi, vous voyez passer des posts ou des articles qui déclament haut et fort (probablement à juste titre pour ces bienheureux et bienheureuses) qu’ils ont trouvé leur place ? Non, mieux, qu’ils ont trouvé leur place et qu’ils sont heureux comme ça. Moi, oui, j’en vois....
Une place au chaud

Une place au chaud .

Vous aussi, vous voyez passer des posts ou des articles qui déclament haut et fort (probablement à juste titre pour ces bienheureux et bienheureuses) qu’ils ont trouvé leur place ? Non, mieux, qu’ils ont trouvé leur place et qu’ils sont heureux comme ça.
Moi, oui, j’en vois. Et ça m’a fait réfléchir. Gravement.
En plus j’allume la télé et coup sur coup, je regarde deux reportages où, bizarrement, des personnes lançaient « je suis à ma place, c’est ma vie ». L’une était grande cheffe de cuisine au Maroc et l’autre marin sur le Nil.
Mais c’est quoi ce truc ? Tout à coup c’est à la mode de déclamer qu’on est heureux parce qu’on se sent bien dans ce qu’on réalise ? De dire qu’on a un sens à son existence parce qu’on a découvert LA tâche qui nous va bien dans la communauté ?
Je râle oui (c’est le principe de mes articles ;)). Parce qu’en fait, brusquement, j’ai réalisé que je n’avais jamais découvert la mienne.
Terrible constatation.
J’en ai immédiatement discuté avec ma femme qui me connait bien (trente-cinq ans de mariage, je crois qu’elle m’a cerné depuis longtemps) en espérant avoir plus d’explication sur la chose et surtout quelques mots qui émettraient l’hypothèse que je me trompe.
Non, elle confirme. Elle, elle se sent à sa place, elle a choisi ou plutôt accepté le destin qui lui était réservé, plus ou moins à l’écart d’une société qui ne regarde pas le handicap en face.
Mais moi, c’est non.
Grosse claque, peut être à juste titre, je dois y réfléchir. Si bien que je m’y suis mis, honteusement tout seul dans mon coin. On me disait qu’on le voyait bien, mais pourquoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ce truc ?
D’un point de vue purement pragmatique, mot pour mot, je ne tenais pas « en place », ni dans mon travail ni dans ma vie. Seul le mouvement compte à mes yeux. Toute ma jeunesse, j’ai tenté beaucoup de sports différents, plaqué mes copines (trop) souvent, et réalisé des expériences toutes plus folles (débiles) les unes que les autres. Plus tard, un peu assagi, j’ai changé de boulot au gré de mes besoins d’évolution, appris des choses toujours plus nombreuses pour aller encore plus loin. Et pour ne rien gâcher, j’ai fréquemment couru trois lièvres à la fois pour ne pas perdre une miette de mes ambitions, monter une boite, couler une boite, et faire de l’activité physique à outrance (sans oublier de me faire opérer des bobos engendrés par les dites activités).
Socialement, cette espèce d’ouragan est passé pour un inconstant. On m’a jugé, on a considéré que ma soif insatiable de nouveautés ne pouvait pas être culturellement recevable. Car au milieu, en tentant évidemment de ne pas oublier ma famille (compliquée), je ne me donnais pas les moyens d’arriver au plus haut et tous pensaient aussitôt instabilité égal échec. On me résumait et me comparait donc juste… à du vent.
Pourtant, il n’en était rien. Certes il y a bien eu des projets ratés, mais le but a toujours été de servir mon clan avec raison. Est-ce que j’aurais dû m’investir plus, devenir grand manager, risquer toutes nos économies pour sauver ma société, bosser encore plus en écrasant tout le monde ?
Non. J’ai tenté d’être sage dans mes actes, m’arrêtant dès que les limites allaient être dépassées. C’est probablement ce qui a surpris et horrifié. Les voltefaces n’ont pas bonne réputation. Le gars sur qui certains pouvaient fonder leurs espoirs préférait s’en aller alors qu’il était à deux doigts du sommet. Et c’est clairement un choc dans cette société. Je n’avais pas besoin d’être le meilleur, il me suffisait d’en prendre le chemin, de me prouver que je savais faire et qu’en d’autres temps, j’aurais pu l’être. La petite frustration engendrée par l’abandon n’était pas grand-chose d’insupportable par rapport au gain familial. Difficile pour autrui de comprendre ça et le couperet tombait irrémédiablement : je n’étais pas à ma place.
Psychologiquement, mon aspiration n’a jamais été la stabilité. Aussi bizarre que cela paraisse, je ne trouvais pas (et ne trouve toujours pas) de satisfaction dans le ronronnement. La routine est mon pire ennemi, celui qui me provoque un malaise et des questions métaphysiques désobligeantes sur mon avenir. Bref je suis mal. Ce désordre apparent, cette remise en question, cette insatisfaction permanente me permet d’être à la fois volontaire et libre. Il y a bien sûr, une ligne de conduite et des frontières à ne pas franchir sous peine de se comporter en pure asocial (peut être aie-je abusé parfois, je ne sais pas…).
Alors que nous avions un énième problème à résoudre familialement, j’ai opté pour entrer dans une grosse société, du genre de celle qui en fait rêver certains, avec son traintrain et ses avantages. Sauf que, même là, je n’ai pas réussi à m’empêcher de grimper, de changer de voie, de sauter sur les occasions, etc.
Le mouvement permanent se comporte pour moi en gasoil pour moteur bien huilé, il m’ouvre des routes en continuité que je peux choisir. D’ailleurs, quand je suis officiellement (et gravement) tombé malade, j’ai eu bien plus de mal à accepter intellectuellement que cette vie de dingue n’était plus possible, alors que je n’ai pas eu de problème à endurer la souffrance physique.
Ainsi, en écoutant attentivement et en décortiquant les propos, j’en ai déduit quelques options. Ce n’est probablement pas très bien exprimé et un peu réducteur, mais, en vrac, être à sa place ça serait :
Être heureux que les choses soient là ; ne pas chercher à en faire d’autres qui nous feraient oublier les premières ; trouver le bonheur en les réalisant jusqu’au bout ; et au bout du compte, être reconnu pour ça, et que personne n’en doute.
Aïe. Je souffre tout à coup.
Je suis l’antithèse de tout ça.
Pourtant, la morale de cette histoire, c’est que je ne suis pas malheureux du tout, c’est même l’inverse (cf. un autre de mes article.)
Je n’ai pas trouvé ma place comme ils disent. Je me suis glissé à plein d’endroits et je les ai laissés derrière moi tout le temps, comme si aucune d’entre elles ne pouvait me satisfaire.
Mais « la place » ne se résume pas à un job. Elle n’est que le lieu, le moment, l’entourage et l’amour, pas une relation avec cette occupation salariée. Nos cultures du vingt et unième siècle ont cette fâcheuse tendance à le réduire à cela, une carrière, du pognon et l’admiration des autres pour cette réussite visible.
J’aurais pu avoir ça, mais aujourd’hui, je serais probablement seul avec mon portefeuille. Mes choix ont toujours été un juste milieu entre la position sociale au travail et mes ambitions familiales. Parfois tout a été très difficile à gérer, j’ai subi des chutes abyssales et des envolées sur les sommets du monde, constamment dans le respect de l’idéal de vie que j’avais en tête, ni trop ni trop peu.
Alors oui, je n’ai pas trouvé ma place, c’est elle qui m’a trouvé.
Aujourd’hui j’ai vieilli et j’y suis, j’ai les deux pieds dedans. Celle-ci m’était réservée et m’attendait.

Image par Michael Schwarzenberger de Pixabay