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Mon Petit Prince à moi

Vous avez lu « Le Petit Prince » ? Enfin… c’est peut-être « relu » que je devrais utiliser. Je pose la question, parce que, sincèrement, les temps changent (j’adore cette bonne vieille expression !) et les valeurs avec. D’ailleurs je ne sais pas s’il subsiste encore de l’intérêt pour la simplicité...…
Fiji
Mon Petit Prince à moi
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Vous avez lu « Le Petit Prince » ? Enfin… c’est peut-être « relu » que je devrais utiliser. Je pose la question, parce que, sincèrement, les temps changent (j’adore cette bonne vieille expression !) et les valeurs avec.

D’ailleurs je ne sais pas s’il subsiste encore de l’intérêt pour la simplicité et la justesse dans notre monde qui se jette le plus vite possible sur son mur de briques bien dur et intransigeant. À l’heure des réseaux sociaux ancrés dans l’apprentissage de la vie chez nos gamins, visiblement, la douceur et les prémices d’une réflexion intérieure propre à chacun paraissent totalement désuètes.

J’ai souvenir (oh mince ! Qu’est-ce que je me sens vieux tout à coup d’employer cette tournure !). OK, j’ai souvenir qu’on utilisait ce texte à des âges charnières pour favoriser l’analyse, pour amorcer des idées plutôt saines qui prendraient racine et se développeraient sur notre petite parcelle de terreaux individuelle. On ne pouvait pas tout comprendre, bien entendu. Quand on me l’a lu pour la première fois, je doute d’avoir réalisé et approuvé la phrase « on ne voit bien qu’avec son cœur ». Mais elle est probablement restée dans un coin de ma cervelle et a ressurgi dès que je me suis trouvé face à mes incertitudes ou mes choix.

Sans que je le sache, à mon insu.

Pour restituer le point de départ de ma réflexion, je dois vous expliquer la situation.

Parmi mes enfants, tous comportaient des traits autistiques, mais l’un d’entre eux a été plus touché. Pas ou peu verbal, avec des périodes plus renfermées que d’autres, il a progressé au fil du temps en dehors de notre monde social (ce monde pratiquant le rejet comme un sport national… ce sera sans doute un autre post). Puis, petit à petit, il y a gagné sa place, une place bien méritée à force d’efforts. Il a désormais la trentaine et une vie bien à lui, faite de ses marottes et de ses envies.

(Petit aparté, pour celles et ceux qui sont confrontés à ce genre de situation, n’oubliez pas que l’évolution de l’être humain ne s’arrête jamais. Les apprentissages, les bonheurs et les surprises sont quotidiens. Je referme la parenthèse.)

Lui et moi, donc, avons instauré une routine sympa : la lecture du soir avant d’éteindre. Dit comme ça, cela peut paraitre enfantin. Beaucoup lisent ou racontent des choses lorsque le jeune bambin ne peut pas le réaliser seul. Puis ce rituel s’évanouit quand le mini humain peut se débrouiller. Ce qui est bien dommage pour les échanges.

Ce n’est pas le cas ici. Au milieu de ses déboires, il n’a jamais pu réellement apprendre à déchiffrer par lui-même. Dans sa période d’adolescence (oui oui, autiste ou pas, il y en a bien une !), la lecture avait disparu du contexte. Mais adulte, elle s’est réinstallée. Parce que ça nous rapproche, parce que c’est stimulant, parce que c’est un baromètre, bref, parce que. Et qui dit lire, dit choisir les livres.

Alors, tout y passe, du livre d’ado, à celui de grande personne en allant vers tout un tas de styles différents pour tester ses goûts et ses intérêts. Car oui, un des soucis est de comprendre, « le » comprendre, lui.

Et dernièrement, nous n’avions plus rien sous le coude susceptible d’éveiller quelque chose avant de s’endormir. (Ouh, ça j’aime bien aussi comme effet, « éveiller avant de s’endormir »)

S’apercevant que nous avions fait l’impasse du “Petit Prince”, il nous fallait combler ce manque. Nous avons donc ressorti ce vieux livre qui prenait la poussière sur une étagère afin de nous y plonger.

Pour commencer, mon ton de conteur a changé. J’ai adopté l’habitude de personnifier les protagonistes, d’y mettre des intonations, de métamorphoser ma voix, voire même de tenter d’en imiter certaines qu’il connait au travers de films. Et là, aussitôt, ma chanson s’est faite plus douce, plus lente, les mots importants plus appuyés, les moments de réflexion plus soutenus avec nos échanges de regards.

Lui ne dit pas continu ou arrête, ne pose pas de question. Je dois capter sa perception à travers ses agitations ou ses instants de concentration. D’autant que cet instant charnière entre chien et loup est souvent propice à sa fatigue corporelle, je dois réaliser la part des choses. Je n’explique pas le texte, jamais. Je n’ajoute rien à ce que je lis sauf en cas de mot très compliqué évidemment.

Et pourtant, probablement le fruit de mon imagination (je doute toujours de la véracité des faits), les quelques soirs de cette lecture nous ont placés dans une dynamique d’échange simple et efficace. J’étais le narrateur, il était le prince. Nos interactions ont rapidement pris une tournure descriptive autour des illustrations de St Exupery et de la modestie du ton.

Impossible de juger si mon fils a été touché par telle ou telle anecdote du conte. Mais ce que moi le père, habitué à cette vie sans paroles, peux vous dire, c’est qu’il l’a suivi avec beaucoup d’intérêt, un intérêt inattendu. Nous avions arrêté le roman précédent (une histoire d’elfe et de monde magique) justement parce qu’il avait su me le montrer par son manque de concentration.

Je ne pense pas que le fil des rencontres du Petit Prince ait toujours signifié quelque chose pour lui. Pour tout vous dire, moi-même, je ne me souvenais pas de certains chapitres. Mais les moments forts ont résonné quelque part dans son vécu, à l’intérieur de sa « petite tête ».

Je ne m’attendais pas à quelque chose de transcendant. Nous ne sommes pas à Hollywood. Mais il y a eu cette connexion entre l’histoire et lui… et moi.

De mon côté, j’ai pu relever l’intemporalité de cette lecture. L’expression des sentiments ne change pas et les situations caricaturales non plus, vingt et unième siècle ou pas. Je ne vais pas me lancer dans une explication des thèmes (je vous laisse fouiller internet ou retourner à l’école avec vos enfants ;)), mais entre l’allumeur de réverbères qui fait son job coute que coute sans réfléchir, le businessman qui accumule ses richesses sans en profiter, jusqu’au train qui transporte et déplace des foules qui ne sentent pas bien où elles sont, je crois que nous avons réussi à décupler le constat d’Antoine en moins de cent ans.

Moi, pauvre hère dans mon propre désert, je ne peux que valider que tout cela fait partie intégrante de nos vécus. Toute cette brillante poésie, au delà de ses concepts humanistes et philosophiques, représente les jalons de nos existences. À chaque relecture, on va plus loin dans la confrontation avec soi-même. On peut réfléchir à l’actualité, au passé, s’analyser, se plaindre ou au contraire être fier de ses actes, fier des valeurs qu’on a réussi à garder et transmettre.

Ce livre c’est un accompagnant, un aidant, et, par les temps qui courent, tout réconfort est bon à prendre.

Alors ? La magie du Petit Prince de St Exupery est-elle encore présente de nos jours ? Pour vous, je ne sais pas, mais pour nous, vous l’avez compris, oui, c’est indéniable. Elle l’a été, peut être juste le temps d’une lecture éphémère, mais elle l’a été.

Que vous l’ayez déjà déchiffré ou pas, que vous ayez vingt, trente, cinquante ou quatre-vingts ans, ressortez-le du placard, attardez-vous sur les évidences, mettez-le en perspective de vos expériences, de votre passé. L’image délavée de ce texte d’une autre époque se révélera toujours à vous sous un éclairage nouveau, emprunt de nostalgie, de regret ou au contraire de satisfaction.

À chaque fois.

Si, par malheur, vous n’y trouvez rien, si vous ne ressentez rien, si aucun frisson ne vous parcourt l’échine, ne le jetez pas, rangez-le dans une bibliothèque. Vous y reviendrez dans dix ou vingt ans alors que vous ne vous y attendrez pas, puisqu’il est… magique !

Image by nini kvaratskhelia from Pixabay

Écrit par Fiji