Choix, contraintes, obligations et autres amusements

Est-ce qu’une vie faite de contraintes et d’obligations sans contrepartie affichée est une existence agréable ?

Je me posais cette question parce que je me rends compte que, pour la majeure partie d’entre nous c’est ce qu’il se passe non ? On grandit, on se construit une histoire en espérant qu’elle devienne comme on l’aurait souhaitée, on fait tout pour qu’elle le soit. On vieillit. Et, petit à petit, on...…
Fiji
Choix, contraintes, obligations et autres amusements
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Je me posais cette question parce que je me rends compte que, pour la majeure partie d’entre nous c’est ce qu’il se passe non ?

On grandit, on se construit une histoire en espérant qu’elle devienne comme on l’aurait souhaitée, on fait tout pour qu’elle le soit. On vieillit. Et, petit à petit, on se laisse grignoter, on accepte des choses qui ne devraient pas être là, on les subit et elles prennent de plus en plus de place.

Alors oui, bien entendu, on s’en accommode. On ressent même du plaisir parfois. Mais la vérité c’est qu’on n’a pas eu le choix. Tous ceux qui diront « Si, on décide de faire ou pas » mentent. Certes, je parle de gens normaux, pas des asociaux, « psychopatate » et autres amputés de l’empathie.
Je ne conteste pas que ce qui nous arrive est, en général, la conséquence de nos actes. Ce que je réfute c’est que la résultante soit logique. Elle suit constamment des travers inimaginables, inattendus et parfois insupportables. Personne ne prend position pour obtenir quelque chose qui sera néfaste à coup sûr. Et pourtant, on s’aperçoit toujours à la fin que nous avons mésestimé le côté sombre d’une idée ou la réaction d’un tiers.
C’est souvent à cet instant précis que notre cerveau est transpercé par la fabuleuse phrase : « si j’avais su… »
Impossible de revenir en arrière, impossible de changer la donne. Nous avons validé et maintenant il faut assumer, limiter la casse. Je ne dis volontairement pas « réparer », car les stigmates ont la peau dure.

Pendant un temps de jeunesse, l’espoir joue un grand rôle. On sélectionnera les solutions envisagées en imaginant qu’elles se passeront exactement comme on le veut puisqu’on y croit.
Et puis on est rattrapé par la patrouille. Très rarement le but est atteint sans faire de vague, souvent le résultat n’est juste pas au rendez-vous, et à certaines occasions c’est le pire qui arrive en cascade. Cela concerne la moindre de nos décisions.

Et nous, nous sommes là, tranquilles, répondant systématiquement au mantra « il faut avancer dans la vie » sans nous poser plus de questions.
Pourquoi j’utilise le « nous » d’ailleurs ? Je ne sais pas comment vous, vous réagissez à tous les événements.
Moi, ma vie est trop complexe. (Comme toutes les vies me direz vous, si si, je vous entends d’ici !) Mais quand je parle de complexité, j’évoque une succession d’épisode amenant une cargaison de possibilités toutes puissamment interactives entre elles. C’est ce que j’appelle « les choix par défaut » ou « pas le choix, il faut ».

Pas de misérabilisme, mais, même si je peux considérer que les histoires de famille, de couple, de relations amicales, d’incidents matériels ne sont que de petites embuches assez communes, lorsque vous agrémentez le tout par la gestion de trois enfants autistes (tous à des degrés différents avec des priorités pas toujours compatibles sinon ça ne serait pas drôle), à ce moment-là, les conséquences se retrouvent dans le corps des parents qui s’effondrent avec des maladies chroniques polluantes à souhait.
Et ça, je suis désolé, ce n’est pas une option.

J’envie tous ceux qui ne se posent pas cinquante questions, avancent et ne se retournent jamais. J’envie ceux qui n’ont jamais de séquelles (je ne crois pas à la chance, ceux-là seront rattrapés un jour). Je ne m’envie pas de m’être imposé autant de choix à faire pour le bien-être de mon entourage. Peut-être que, si j’avais été membre du premier groupe, ceux qui ne regardent jamais en arrière, je serais en meilleure forme aujourd’hui.
Mais, j’ai au moins une vérité bien ancrée dans ma petite tête : pour rien au monde, je ne changerais de place.
Non.

Je tiens donc une partie de ma réponse. J’ai appris, en prenant ces décisions, qu’à l’instant même où j’appuyais sur le bouton, ce serait ce que je devrais assumer et que la suite serait de mon ressort, dans les bons instants comme dans les mauvais. Probablement qu’à cet instant, mon caractère est entré en ligne de compte. Si j’ai décidé, si j’ai mis en application, si c’était à moi d’assumer, le détestable côté face de la pièce n’a jamais été aussi insupportable qu’il y paraissait.

Est-ce que je suis comme ça ? Est-ce qu’à force je me suis formaté voir autoconvaincu pour penser ainsi ? Je n’ai pas la réponse et, franchement, je ne vais pas remuer le fond du pot pour observer si quoi que ce soit remonte.

Néanmoins deux choses sont certaines. Quand la vie atteint un niveau de contraintes que vous ne souhaitez pas, vous devez contrebalancer par de bonnes actions qui vous apporteront l’équilibre pour ne pas sombrer. C’est essentiel. Ce niveau d’attente vous pousse à toujours aller plus loin dans la recherche d’un hypothétique bonheur coute que coute et c’est une course qui ne doit jamais s’arrêter, absolument jamais. C’est éreintant oui, mais on finit d’une part par développer une intransigeance pour les indécisions, et d’autre part un art de la passion qui détourne votre regard chaque fois que les temps deviennent trop durs. C’est cette deuxième idée qui me permet de ne pas m’apitoyer, de prendre des décisions, de trouver des solutions, de me focaliser sur ce qui fait du bien, bref, de me séparer des contraintes et d’en faire une vie normale.

Il va sans dire que ce système, ce similijeu de dupe ne se pratique pas seul (ou en tout cas moins agréablement). Un des mécanismes du bonheur se puise dans le partage avec autrui. La confrontation avec les aléas et une forte vision commune sur les sujets offriront des plus indéniables. Pour faire face, la recherche de solution à deux permet, outre d’en trouver de meilleures, de ne jamais baisser les bras et (c’est important) d’en choisir une qui va faire plaisir aux autres. On ne subit pas en s’apitoyant, on convertit une catastrophe (ce n’en est pas toujours une heureusement) en une aventure à défaut d’agréable, disons d’anodines pour ses proches. En endossant le mal, on donne du bien et on se fait plaisir. (Oui, moi, ça me fait plaisir de faire plaisir.) Du coup la contrainte et l’obligation sont transformées, remodelées, et n’ont plus le même impact sur nos vies.

Ma femme et moi avons adopté ce système de pensée et d’action (réaction personnelle : sans concertation, c’est probablement pour cela que nous nous sommes mariés). Pas le bonheur à tout prix, plutôt un optimisme permanent. Cela nous a entrainés loin, très loin, nous a épuisés, nous a rendus malades. Sauf qu’aujourd’hui, force est de constater que nous avons tout affronté ensemble, que lorsque l’un de nous deux était affaibli, l’autre prenait le relais et surtout, surtout… que nous avons évité à nos enfants de subir bon nombre de cyclones. Quand nous leur en parlons maintenant (ils ont tous plus de vingt ou trente ans), aucun d’entre eux ne voit dans le passé des galères sans fin, juste des aventures différentes du reste du monde.

Je pense qu’au bout du compte, les chemins les plus difficiles que nous empruntons en les choisissant consciemment sont ceux dont les aléas nous toucheront le moins. Ils nous appartiennent entièrement avec leurs bifurcations, leur droiture ou leur catastrophique sinuosité.
C’est une contrepartie évidente pour moi, si personne ne voulait les suivre comme ils paraissaient trop pénibles, nous en avons fait notre vie, notre ligne de conduite et au lieu de subir, nous avons agi.
Et maintenant, je suis fatigué. Nous sommes fatigués…

Mais heureux.

Image by Gerd Altmann from Pixabay

Écrit par Fiji