Abandonner

le 16-08-24 12:39

Abandonner ?

Jamais. Ja-mais. JA-MAIS !
Enfin… plus maintenant.
Et c’est ça qui est dingue. Je m’explique.
Autrefois, j’ai abandonné maintes idées ou projets pour plein de raisons plus ou moins valables, de contextes, ou d’envies. Il y a beaucoup de choses que j’aurai pu continuer, mais visiblement elles ne me correspondaient pas.
Et puis il y a eu les empêchements, et pour finir les moyens qui n’ont pas toujours été au rendez-vous.
Mais bizarrement, c’est maintenant, alors que je vieillis et que c’est là que je pourrais m’assagir, que je n’ai plus envie d’abandonner quoi que ce soit.
Si ça me plait et que je le désire et que j’y crois (ça fait beaucoup de si je sais) alors je continue inlassablement.

L’écriture en fait partie. Si on compte le conte de Noël (j’adore ce jeu de mots ringard), je suis donc en train d’écrire mon sixième roman. Avec un peu de recul, je pourrais me demander « à quoi ça sert ? » Ben oui quoi, à quoi ça sert ?
Je fais le tour de la question :
Je ne suis pas dans l’écurie quelconque d’un éditeur (et je ne sais pas si j’aimerai),
Je n’en vis pas,
Ça me prend beaucoup de temps et d’énergie,
Les retours que j’en ai parfois peuvent me faire mal (ma carapace a quelques trous…)
Je me mets la pression tout seul,
Et la liste est longue.

Seulement voilà, abandonner n’est plus dans ma nature. Mais abandonner quoi puisque je prétends ne rien chercher ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. Quand on se lance et qu’on s’accroche dans ce type d’engouement, c’est qu’on a envie d’une chose : la reconnaissance de ses pairs.
Pour quoi faire ? Je pourrai faire tout ça pour moi tout seul ou juste mes proches et ce serait tranquille.
Mais non, c’est plus fin et plus psycho que ça.
Il faut remonter à la source, MA source. Et là tout à coup vous ne souhaitez plus lire la suite…
Je voulais être dessinateur, animateur pour être précis, c’était mon rêve de gosse. Je m’imaginais en Walt Disney de temps plus modernes. L’éducation de début du siècle dernier de mes parents, leur incompréhension face à cette voie et mes échecs au sacro-saint diplôme final du lycée ont achevé ce rêve.
Enfin pas tout à fait. Je l’ai tenté, tout seul dans mon coin, sans aide. Et je n’y suis pas arrivé. J’avais donc dix-neuf vingt ans.
La vie a suivi son cours, faisant place à d’autres choix par nécessité plus que par engouement. Le travail nourricier, la famille et ses bonheurs, sans oublier les ennuis qui vont avec, les maladies, les coups durs et j’en passe.
Vient alors le moment où les enfants décideront à leur tour de ce qu’ils vont faire, sur quel chemin caillouteux ils vont s’engager.
Tout à coup, le niveau d’introspection devient plus fort que jamais. On laisse des années s’écouler, d’embuches en gloires éphémères, on vieillit dans sa tête (et dans son corps aussi) et paf, on est démuni devant un truc tout simple.
Tout à coup c’est LE choix.
Tout à coup on repense à ses propres vieilles expériences qu’on avait reléguées très loin derrière.
Tout à coup on s’embrouille les idées. Mon enfant pourra-t-il faire son métier rêvé ? Pourrais-je l’aider ? Est-ce que je dois décider pour lui ? Va-t-il y arriver ?
Tout à coup… J’ai eu ce déclic que nous sommes probablement (j’espère) nombreux à avoir. On se remet en question, on abandonne tout pour cet enfant, et on le pousse à y aller. Et pour plein de raisons, pas seulement parce qu’on ne vit plus en 1930, mais parce que l’on comprend qu’il faut croire dans les rêves de son enfant, que ce n’est pas à nous de déterminer quoi que ce soit, ce choix leur revient à eux. Et bien sûr, on saisit qu’on ne pourra jamais lui dire « n’abandonne pas » si jamais on a déjà tué en lui l’étincelle qui le faisait vibrer. On mélange son expérience personnelle avec la sienne en devenir.
À ma grande surprise, après nous être pliés en quatre avec mon épouse pour assouvir leurs buts, c’est nous les parents qui avons mué. Trouver les ressources pour aider, puiser en nous inlassablement, tirer les choses comme un tracteur qui ne cale jamais, rend plus fort que tout. Et quand c’est fini, on est fier de dire à cet enfant « tu vois, il ne fallait pas abandonner ».
Donc je n’abandonne jamais, ni pour cet enfant ni pour moi. En faisant cette démarche pour lui, j’ai compris pour moi-même qu’il ne fallait jamais laisser tomber.
Finalement, c’est comme ça que j’ai apprécié mon usure du temps. On peut faire taire ses vieux démons et regrets, oublier les ratés, et attaquer par un autre versant pour gravir la montagne.

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